C'était hier !
A love supreme : Anne Teresa de Keersmaeker danse Coltrane.
Après le 104 l’année dernière,
c’est à l’Espace Cardin qu’on a pu revoir ce petit bijou d’orfèvrerie qu’est la
pièce A Love Supreme, d’après la
partition éponyme de John Coltrane créée en 1964 pour 4 instruments :
saxophone (Coltrane lui-même, contrebasse, piano et batterie).
Au sol un marquage habituel chez
Anne Teresa de Keersmaeker. Pourtant il n’y apparaît aucune courbe. Tout au
contraire des lignes droites, des motifs géométriques non plus spiralés ou
circulaires mais triangulaires ou rectangulaires. Comme dans d’autres pièces de
Anne Teresa de Keersmaeker, la composition chorégraphique reprend ici le
principe suivant : à chaque instrument est ‘dédié’ un danseur.
Dans une première partie
silencieuse, les danseurs semblent entrer peu à peu dans leurs gammes, lancer
quelques mouvements, explorer l’espace, envisager les relations qu’ils vont
nouer ensemble pendant le temps, encore à venir, de la partition de Coltrane.
Puis un seul danseur reste sur scène, se lance dans un solo, toujours dans le
silence, avant de ralentir en une marche qui semble ne pas finir. Enfin lorsque
se font entendre les premières notes du saxophone de Coltrane les 4 danseurs entament
leurs partitions respectives et l’on reconnaît rapidement en chacun d’eux
l’instrument qu’ils jouent de leurs corps, gestes et déplacements. Très vite les
motifs s’entremêlent et se séparent à nouveau pour se retrouver, se contaminant
les uns les autres. C’est bien à une prouesse chorégraphique que l’on assiste
comme spectateur car chaque geste est de la plus grande précision, même sur les
parties improvisées les plus ‘free’ de la composition de Coltrane. Comme le
précise Salva Sanchis à propos des moments d’improvisation : « L’improvisateur
(le danseur) arrive à convoquer des associations de mouvements inédites, il
fait des choses avec une rapidité et un niveau de détail qu’il serait impossible
à noter », mais malgré tout visible par le spectateur et c’est toute la
beauté du geste mis au service d’une partition ciselée et puissante.
La dernière partie, intitulée Psalm, qui développe une plus grande
douceur, voire une certaine volupté et dont on sait qu’elle est la
transcription pour le saxophone d’une prière de Coltrane, voit les danseurs s’abandonner,
se soutenir, se porter, se soulever, se relever les uns les autres. Ce qui nous
rappelle qu’ici comme ailleurs il n’est rien que l’on puisse faire seul.