Split de Lucy Guerin : si proche et si loin.
Lucy Guerin est une chorégraphe australienne que l’on
voit peut-être trop rarement en France. Quand elle est programmée à Paris,
c’est aux Abbesses qu’on peut la voir. Après Motion Picture en janvier 2017,
chorégraphie de groupe au dispositif scénique tout à fait original (des
interprètes qui dansaient sur un film projeté que les spectateurs ne pouvaient
voir), la chorégraphe présentait son dernier duo, Split. Soit sur scène un
large quadrilatère marqué au sol par un adhésif blanc. Dans cet espace clos,
deux danseuses se suivent dans une première séquence de gestes à
l’unisson : une danse qui partant de petits mouvements prend peu à peu une
belle ampleur avec des bras qui dessinent de grandes lignes et des déplacements
de plus en plus appuyés. Mais l’essentiel ne se glisse pas uniquement dans
cette danse à deux, aussi belle soit-elle. Il est dans ce qui sépare les deux
danseuses, malgré leur unisson parfait : l’une porte une large robe qui lui
descend jusqu’aux chevilles alors que la seconde est entièrement nue et le
restera tout au long du spectacle. Et la singularité de cette première partie
de la pièce n’est pas d’exhiber un corps nu, mais de nous introduire à ce que
l’on voit rarement sur une scène à savoir un corps au travail, le corps de la
danse(use) au travail. L’autre effet collatéral de cette pièce tient dans le
dispositif scénique déployé : à la fin de cette première séquence où les
danseuses évoluent encore sur l’ensemble du plateau, munies d’adhésif blanc et
d’une paire de ciseaux, elles vont diviser l’espace en deux pour n’occuper
qu’une moitié du plateau, qu’elles rediviseront une troisième puis une
quatrième et une cinquième fois jusqu’à les contraindre à évoluer dans des
espaces successifs de plus en plus ténus. Cette réduction topographique les
oblige à se rapprocher encore et encore ; jusqu’à se toucher dans une
danse qui en devient plus organique et dont la violence n’est plus absente. Dans
cet espace qui se réduit, il est de moins en moins question d’être ensemble
(par l’unisson) et la danse se transforme en l’expression la plus exacerbée des
passions humaines, à fleur de peau. Etrange paradoxe à l’œuvre ici : quand
diviser (les espaces) c’est rapprocher (les corps), mais à quel prix. On attend
déjà la prochaine pièce de Lucy Guerin…
Spectacle vu le 6 décembre 2018au Théâtre des Abbesses