(La bande à) Laura de Gaëlle Bourges

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Gaëlle Bourges occupe une place tout à fait singulière dans le champ de la création chorégraphique. Curieuse de l’histoire de l’art, la chorégraphe s’attache à interroger nos représentations communément admises et nos impensés. Si elle s’empare à bras le corps d’œuvres picturales connues, c’est pour en défaire les évidences et nous en livrer un sous texte à la manière d’un Daniel Arasse qui excellait à cet exercice comme dans son texte Le détail – Pour une histoire rapprochée de la peinture (édition Flammarion).

Laure et Victorine.

(La Bande à) Laura de Gaëlle Bourges
(La bande à) Laura © Danielle Voirin

(La bande à) Laura de Gaëlle Bourges n’échappe pas à ce questionnement qui vise à défaire les évidences les plus communes. La chorégraphe nous fait entrer cette fois-ci dans le célèbre tableau de Manet, Olympia, peint en 1863. Ce tableau qui fit scandale au Salon de 1865 pour la nudité qui y était exposée. Mais bien évidemment c’est ailleurs que sur ce nu en tant que tel que Gaëlle Bourges va détourner notre regard pour le faire porter sur les deux femmes présentes dans ce tableau, en leur rendant leur réelle identité et leur place sociale dans le contexte de ce Paris artistique de la Place Clichy de la fin du XIXème siècle.

Ainsi apprendra-t-on que la servante noire du tableau s’appelait Laure (son nom nous reste inconnu) et habitait non loin de la place Clichy. Le modèle qui a servi à représenter Olympia s’appelait Victorine Meurent et n’était pas une prostituée comme on l’a souvent évoqué. Elle était un modèle par ailleurs musicienne, comédienne et surtout une peintre dont il nous reste trois tableaux conservés au Musée municipal de la ville de Colombes où elle finit ses jours.

(La bande à) Laura vs la bande à Manet.

(La bande à) Laura de Gaëlle Bourges est en quelque sorte une réponse à la “bande à Manet” qui fait l’ouverture de la pièce avec la recréation d‘Un Atelier aux Batignolles de Fantin Latour. On y voit, autour de Manet assis à son chevalet, ses amis artistes tels Renoir, Zola, Monet et quelques autres.

Adoptant le principe du récit narratif en voix off tout au long de la pièce, la chorégraphe introduit et contextualise dans un premier temps l’histoire de ce tableau, alors que les quatre interprètes féminines recréent la scène dans des habits masculins et prennent à tour de rôle la place du peintre assis, posant ainsi d’emblée la question des assignations. Ce procédé de “la ronde” dans laquelle les rôles sont interchangeables est au cœur de la scénographie de la pièce. Par la suite, dans la réinvention du tableau d’Olympia qui va prendre vie sous nos yeux, chacune des interprètes, dont deux ont la peau noire, deviendra tour à tour Olympia à la peau blanche et la servante à la peau noire. Aussi assiste-t-on à un savoureux retournement dans l’ordre des représentations. De même dans le Déjeuner sur l’herbe ou les rôles s’échangeront entre hommes et femmes cette fois-ci.

Les dessous du tableau révélés.

Par un habile dispositif constitué de 2 châssis recouverts d’une toile vierge que les interprètes font glisser comme des paravents modulables pour révéler les dessous du tableau. Guidé par la voix de la narratrice, se découvre alors une autre histoire de l’Olympia et de ces deux femmes.

Elles ne furent pas que de simples figures peintes, mais on peut dire avec Gaëlle Bourges qu’elles ont fait ce tableau aussi sûrement que Manet l’a peint.

Vue aux Théâtre des Abbesses le 05/12/21.

Consulter l’article Conjurer la peur de Gaëlle Bourges.

On peut écouter Gaëlle Bourges dans l’émission du 19/11 Par les temps qui courent sur France Culture.