Corps Exquis de Joanne Leighton

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Du cadavre exquis surréaliste aux Corps Exquis de Joanne Leighton.

En 2012 la chorégraphe Joanne Leighton créait une pièce pour 7 danseurs, Exquisite Corpse, à partir d’une partition constituée de 58 séquences chorégraphiques courtes mises bout à bout selon le principe du cadavre exquis inventé par les surréalistes en 1925. Selon une règle identique, chacun des 58 chorégraphes sollicités avait imaginé 1 minute de danse à partir des 10 dernières secondes transmises d’une autre danse.


En 2019, Joanne Leighton a repris l’ensemble de ces matières qui avaient servi à ce cadavre exquis (notes, photographies, vidéo, audio, etc.) pour en faire une nouvelle création pour 3 danseurs, non pas en un trio mais en 3 solos qui se succèdent et qui s’enchâssent les uns après les autres.

CORPS EXQUIS, Joanne Leighton
Corps Exquis, joanne Leighton © Patrick Berger

L’ouverture de la pièce, annoncée par un bip sonore, débute par une marche lente de Lauren Bolze, Marion Carriau et Yannick Hugron, côtes à côtes, costumés et recouverts de coiffes imposantes faites de bric et de broc. On reconnaîtra sans doute dans ces éléments (la marche et les matières) la première séquence écrite par Joanne Leighton. Puis le trio se sépare et se succèdent les 3 solos : d’abord celui de Lauren Bolze, celui de Marion Carriau, enfin Yannick Hugron qui termine la pièce. Chacun danse donc une partie de la partition écrite alors que les 2 autres viennent ponctuellement jouer les “assistants” costumiers, éclairagistes ou décorateurs lorsqu’ils ne sont pas dissimulés sous une montagne de vêtements répartis sur les 2 côtés du plateau. Des bips sonores viennent ponctués les changements de séquences du cadavre exquis, à d’autres moments la bande son restitue les sons d’origine sur lesquels les 3 interprètes dansent, comme dans un faux playback, le matériau chorégraphique transmis. 

Comme de petites miniatures qui s’emboîtent les unes aux autres et jouent de la continuité ou de la rupture, les télescopages qu’implique le cadavre exquis peuvent être savoureux et drôles, et nulle nécessité de tenter, en vain, de reconnaître la patte de l’un ou l’autre des 58 chorégraphes dans cet agencement forcément un tantinet loufoque.

Travailler l’archive chorégraphique.

Toute la richesse du propos est aussi de ne rien retrancher et de laisser apparent et le plus accessible au spectateur les différents éléments constituant le matériau chorégraphique, en conservant notamment sur scène les éléments sonores d’origine comme les voix, les sons divers qu’on imagine repris de documents vidéo et audio. C’est là tout le travail réalisé par Peter Crosbie qui signe la création sonore de la pièce. Et en rendant consultable, avant et après la représentation, le beau document Traces exquises, Mode d’emploi de Corps Exquis, Carnet de notes, qui constitue une archive de l’ensemble des documents fournis par les 58 chorégraphes et des documents de travail du projet chorégraphique de Joanne Leighton. 

Il a fallu également mettre en scène ces danses transmises sans trahir le contexte de leur production et c’est tout le sens de la scénographie d’entrer dans ce jeu de traduction : on y voit des fleurs pousser, une tête de chien, la construction d’un paysage, etc. Autant d’éléments qui finalement ajoutent de l’étrangeté à ces danses et ouvrent à une forme d’imaginaire poétique pas si éloigné des jeux d’associations des surréalistes.

Enfin on dira aussi notre plaisir renouvelé de voir danser Lauren Bolze et Marion Carriau, fidèles danseuses des projets de Joanne Leighton et Yannick Hugron qu’on retrouvera pour le festival Jogging dans Vivace, une création d’Alban Richard.

Corps Exquis, avec Lauren Bolze, Marion Carriau et Yannick Hugron, vu le 14 juin 2022 au Carreau du Temple. 

A lire People United, I’m sitting in the room.
Site de la compagnie : wldn.fr