Olivia Granville et Valeria Giuga au festival Excentriques

  • Post category:chroniques

Argentique de Olivia Grandville et Coaching de Valeria Giuga en clôture du festival Excentriques de la Briqueterie CDCN.

La briqueterie CDCN clôturait sa semaine d’ouverture Excentriques – danses hantées avec une programmation des plus attrayantes : Nawelle Aïnèche, Olivia Grandville et Valeria Giuga. Seule ombre au tableau peut-être, la météo capricieuse qui imposa une solution de repli dans les studios.

Argentique de Olivia Granville.

Olivia Grandville présentait Argentique, une pièce de 2017, une forme de conférence dansée dans un dispositif non pas frontal mais dans lequel les spectateurs étaient répartis sur le plateau. Ainsi la danse de la chorégraphe put se déployer dans toute la largeur de cet espace habité au centre duquel officiait également le compositeur Jonathan Kingsley Seilman.
Cette pièce est le fruit de la rencontre de la chorégraphe avec Françoise Sullivan, personnalité artistique de la scène canadienne née en 1923, tour à tour danseuse, peintre et sculptrice. Dans ce parcours d’une vie bien remplie, Olivia Grandville s’arrête aux années 1947-48 qui l’intéressent à double titre : en premier lieu Françoise Sullivan intègre le mouvement avant-gardiste des Automatistes et surtout elle fait le projet de réaliser des films de danse s’inspirant du cycle des saisons. Elle réalise ainsi deux de ces films aujourd’hui disparus mais qui restent comme les premières pièces filmées de l’histoire de la danse : Eté (1947) et Danse dans la neige (1948). Il n’en reste comme trace visuelle qu’une poignée de photographies. C’est donc au croisement de celles-ci et du témoignage de Françoise Sullivan restitué par la narration au plateau, qu’Olivia Grandville réactive la mémoire d’une danse disparue, “à la manière d’une révélation photographique”.

Avec Olivia Grandville et Jonathan Kingsley Seilman au plateau. Le 24/09/2022 à la Briqueterie CDCN du Val de Marne.

Coaching de Valeria Giuga et Anne-James Chaton.

Valeria Giuga et Olivia Grandville ont sans doute comme point commun d’articuler leur danse à des formes historiques et de porter un intérêt tout particulier aux textes qui occupent alors une place importante dans leurs créations comme dans She was dancing de Valeria Giuga et Le Cabaret discrépant d’Olivia Grandville.

Pour Coaching, Valeria Giuga s’est associée une nouvelle fois au poète sonore Anne-James Chaton qui signe les textes qui ne sont pas sans rappeler les poésies sonores d’un Kurt Schwitters et des dadaïstes. Les costumes eux-mêmes réalisés par Coco Petitpierre sont une référence explicite à Malevitch et plus largement à l’avant-garde artistique du début du XXème siècle. La partition chorégraphique est elle aussi tirée d’une partition notée en cinétographie Laban par Dorothée Günther qui avait créé une école de gymnastique et de danse à Munich en 1924.
Dans Coaching, quatre interprètes investissent les gestes simples d’une gymnastique rythmique non sans humour mais sans se départir de leur sérieux. Car s’occuper de son corps demande conscience et attention comme dans cette séquence réjouissante ou chacun.e semble découvrir avec délectation les possibilités d’un corps nouveau en les accompagnant d’onomatopées marquant à la fois la surprise et le ravissement. Dans une séquence finale, la poésie sonore de Anne-James Chaton excelle à créer, à partir de quelques syllabes disposées dans un ordre aléatoire, une mélodie chorale qui donne à entendre un texte à multiples interprétations.
Voici donc une pièce qui, réactivant les contours d’une histoire des corps qui s’est dessinée il y a un siècle, interroge en creux ce qu’est devenu le corps contemporain modelé depuis par d’innombrables techniques somatiques et les manuels de développement personnels.

Avec Aniol Busquets, Antoine Arbeit, Clémence Gaillard, Marie-Charlotte Chevalier. Le 24/09/2022 à la Briqueterie CDCN du Val de Marne.

Visuel : Malevitch © The State Russian Museum