D’ivoire et chair les statues souffrent aussi

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Quelques jours seulement après la présentation du solo Idiota à la Cité de l’immigration de la Porte Dorée, le festival d’Automne nous a permis de découvrir cette création plus ancienne de Marlene Monteiro Freitas, D’ivoire et chair les statues souffrent aussi, datée de 2014.

Lorsque le public entre dans la salle “ça a déjà commencé” : sept performeurs s’activent comme à un échauffement sportif. Une habitude chez Marlene Monteiro Freitas. Dans Jaguar une partie de tennis se déroulait en fond de scène le temps que le public s’installe.

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D’ivoire et chair © Pierre Planchenault

Dans Guintche Marlene Monteiro paradait vêtue d’un peignoir de boxeuse avant le début du spectacle. Dans D’ivoire et chair les statues souffrent aussi, les interprètes déjà au plateau sont revêtus de ces mêmes peignoirs et semblent se préparer au combat avec des gestes mécaniques sur fond sonore bruitiste interrompu, par intermittence, par la stridence d’une sirène : la danse comme sport de combat!
Oui “ça a déjà commencé” mais ce n’est pas qu’un pur gimmick, une facilité de style chez la chorégraphe car, même si les interprètes ont toujours des allures d’automates ou de pantins, ce à quoi elle nous convie c’est à une forme du vivant qui lui n’a ni début ni

Démesure et métamorphose dans D’ivoire et chair les statues souffrent aussi.

Le monde de Marlene Monteiro Freitas est celui des métamorphoses : un geste, une grimace, un objet (comme les cymbales omniprésentes) peuvent se répéter mais au final deviennent toujours autres. Il y a quelque chose des Métamorphoses d’Ovide chez la chorégraphe, les dieux en moins. Elle invente de nouvelles mythologies, nous propose d’entrer dans un monde parallèle fait d’outrance, d’exagération, de rictus et de grimaces, d’hybridations de corps soumis aux transformations comme lorsque Betty Tchomanga, l’une des interprètes, entame sur une musique orientale une danse dans laquelle elle fait disparaître ses bras et ses mains dans son dos pour les faire réapparaître inversés sur son ventre. Une danse du ventre tout à l’envers.

Durant 1h20, quatre danseur.se.s et trois musiciens se partagent le plateau, vêtus de plastrons de couleur bleue nuit, survoltés, les yeux roulant comme des billes et les visages déformés. On reconnaît certains gestes qui nous sont familiers comme ceux de boire, de trinquer, voire de manger. Mais ils disparaissent très vite absorbés dans des situations qui échappent aux performeurs eux-mêmes. Tout est possible dans ce monde de l’étrange que n’auraient sans doute pas renier quelques dadaïstes.

My Body is a cage.

Dans le solo Idiota, le corps de Marlene Monteiro Freitas restait prisonnier de sa cage de verre. Dans les Statues souffrent aussi les quatre interprètes chantent à tue-tête sur la chanson My Body is a cage du groupe Arcade Fire avec une rage qui donne des frissons tout en étant traversés de rictus, de grimaces, d’yeux révulsés et de gestes mécaniques incontrôlés. Quatre minutes d’une beauté poignante à couper le souffle.Si la bande son occupe une place importante dans cette pièce, la musique live est également omniprésente avec trois musiciens munis de seules cymbales comme instruments et dont la présence, les déplacements, les interventions rythmiques et les interactions avec les autres performeurs sont d’une grande importance. Ils participent aussi à l’énergie dévastatrice qui traverse la pièce de bout en bout.

Chorégraphie : Marlene Monteiro Freitas. Avec Andreas Merk, Betty Tchomanga, Henri « Cookie » Lesguillier, Lander Patrick, Marlene Monteiro Freitas, Miguel Filipe, Tomás Moital.

D’ivoire et chair les statues souffrent aussi vu le 5 novembre 2022 au Théâtre Public de Montreuil, Centre Dramatique National avec le festival d’Automne.


A propos des créations de Marlene Monteiro Freitas, on pourra lire les articles suivants :
Guintche, Bacchantes. Prélude pour une Purge, Mal – Embriaguez Divina.