Portrait de Rebecca Journo

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Avec Portrait, Rebecca journo (é)tire le portrait.

portrait de Rebecca Journo
Portrait, Rebecca Journo © Maxime Leblanc

Rebecca Journo était programmée à l’Atelier de Paris dans le cadre du festival Faits d’hiver pour présenter sa dernière création, Portrait. Chorégraphe qui développe un univers tout à fait singulier, nous attendions cette dernière pièce avec une certaine impatience après avoir vu ses trois premières créations que sont L’Epouse, La Ménagère et Whales.

Avec deux de ces précédentes pièces, L’Epouse et La Ménagère qui constituent un diptyque questionnant les archétypes féminins et leurs représentations, Rebecca Journo semblait déjà nourrie de multiples références visuelles puisant tantôt du côté du cinéma avec l’Epouse mais également du côté de la photographie d’une Cindy Sherman avec La Ménagère. On est peu surpris alors de la voir s’attaquer à cette thématique du portrait. D’autant moins lorsque l’on sait que Véronique Lemonier avec laquelle Rebecca Journo a créé le collectif La Pieuvre est elle-même photographe et danse dans Portrait. Comme l’indiquent les premières lignes du site du collectif, “leur démarche artistique se situe à la lisière de différents médiums entre danse, performance, musique et photographie.” La collaboration avec le créateur sonore Mathieu Bonnafous sur trois des pièces est aussi un élément substantiel des univers que développe la chorégraphe.

Le plateau tout de noir, occupé par quelques chaises, est divisé pour ainsi dire en petites cellules comme des théâtres miniatures, séparées par des pendillons. Dès le début du spectacle le quatuor de danseuses, Véronique Lemonnier, Vera Gorbatcheva, Lauren Lecrique et Rebecca Journo, fait état d’une petite mécanique des corps qui nous plonge dans l’inquiétante étrangeté. En déplacements d’automates de poupées de porcelaine aux regards absents, elles jouent toutes les poses possibles du portrait en en retraversant l’histoire, du portrait peint au portrait photographique, de la photographie de famille au selfie.

Un Portrait (au) singulier.

Les danseuses viennent à tour de rôle occuper les différents espaces du plateau, sur les quelques chaises placées çà et là, jouent de la plasticité de leurs visages pour en accentuer les déformations possibles, utilisent divers miroirs déformants. La lumière qui accentue les contrastes les rend presque monstrueuses et l’accompagnement sonore joué en live par Mathieu Bonnefous en lien direct avec les différentes actions des danseuses est digne de la bande son d’un film d’horreur. Le plateau se transforme ainsi en une petite maison des horreurs lorsqu’un corps se trouve brusquement projeté sur scène sans que l’on s’y attende.

Les danseuses alternent leurs apparitions et disparaissent pour surgir ailleurs excepté dans ce moment où se partageant toutes les quatre deux chaises disposées côte à côte elles ne semblent plus faire qu’une, baignées dans un halo de lumière rouge qui n’est pas sans rappeler l’ampoule inactinique utilisée lors du tirage photographique en laboratoire photo. Joues contre joues, les visages fondent et fusionnent les uns contre les autres dans un effet de slow motion pour révéler un unique portrait fugace comme une image fantôme, une trace de mouvement, ou tel le dessin incertain d’un déplacement. Un peu comme dans les photographies fantomatique de Francesca Woodman dont la chorégraphe avoue s’être inspirée pour cette pièce.
Avec Portrait, Rebecca Journo et la Pieuvre continuent de nous amener du côté d’univers troubles, inquiétants et riches en sensations.

Conception et chorégraphie : Rebecca Journo, avec Véronique Lemonnier, Vera Gorbatcheva, Lauren Lecrique et Rebecca Journo. Création sonore : Mathieu Bonnafous. Scénographie : Guillemine Burin des Roziers, Rebecca Journo. Création lumière : Jules Bourret.

Portrait de Rebecca Journo, vu à l’Atelier de Paris CDCN le 9/02/2023.

Site de la Pieuvre