Futur proche de Jan Martens

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Le Futur proche de Jan Martens est-il vraiment enviable ?

La pièce Futur proche de Jan Martens est enfin arrivée à Paris après avoir été dansée dans la cour d’honneur du Palais des papes à Avignon en 2022. Il fallait bien le plateau de la Grande Halle de la Villette pour accueillir l’Opera Vlaanderen ballet et ses 17 danseu.rs.ses et la claveciniste Goska Isphording.

Un répertoire contemporain pour clavecin.

Futur proche, Jan Martens
Futur proche, Jan Martens © filip Van Roe

C’est la 3ème fois que le chorégraphe belge accorde, dans ses créations, une place de choix au clavecin. Dernièrement c’était pour le solo ELISABETH GETS HER WAY consacré à une grande figure de cet instrument disparue depuis, Elisabeth Chojnacka.

Dans Futur proche le clavecin adopte un répertoire résolument moderne pas si éloigné de celui d’un Steve Reich et aux sonorités étonnement contemporaines. Le spectateur assiste autant à un spectacle de danse qu’à un concert de musique mais les deux sont intimement et organiquement liés, tant il est vrai que l’instrument occupe une place quasi centrale dans la scénographie, non pas sur un côté mais résolument installé au milieu du plateau parmi les danseurs.

La scénographie de Futur proche offre une autre particularité : un banc long de plusieurs mètres traverse la scène de part en part. Il est à la fois un lieu pour s’asseoir et pour regarder. Ainsi à l’arrivée des spectateurs, les interprètes habillés de vêtements simples et usuels viennent-ils aussi peu à peu s’y installer et diriger leurs regards vers les gradins. C’est initié par ce face à face entre spectateurs et danseu.rs.ses que le spectacle débute alors au son des premières notes du clavecin.

Se mettre en mouvement.

Dans une interview Jan Martens parle de ce banc comme d’un espace de passivité où l’on attend, “comme si les choses allaient se résoudre d’elles-mêmes.” Cet objet scénographique joue comme métaphore de ce que le chorégraphe dénonce : notre relative passivité face aux défis qui nous attendent.

Ce banc est également une limite, une frontière dont il faudra faire le tour ou qu’il faudra enjamber jusqu’à ce qu’il soit démonté dans la scène finale, décloisonnant ainsi l’espace et en le réagençant en d’autres plus petits. 

La danse de Jan Martens va se déployer en jouant de cet élément central. Tout d’abord assis face public les 17 danseu.rs.ses interprètent à tour de rôle quelques notes et motifs de la partition jouée au clavecin. Les mouvements de bras s’accordent merveilleusement au jeu rythmique de l’instrument. Chacun donne à lire la partition et à voir sa propre singularité, sa signature gestuelle dans l’interprétation qu’il en donne. 

Puis se seront de grandes marches, courses, sauts et déboulés. Des unissons de groupe se forment de part et d’autre de ce banc pour se rejoindre par la suite ou dessiner une grande diagonale traversante. Les différents tableaux relèvent tout autant d’une forme d’épure minimaliste que d’un foisonnement porté par les individualités de chacun des interprètes.

Un futur proche assombri.

Sortant à jardin, un unique danseur reste sur scène pris dans un faisceau lumineux.  Son image est projetée agrandie en fond de scène. Il est peu à peu rejoint par 4 autres danseurs. Le dispositif joue sur des rapports d’échelle entre chacun.e. L’atmosphère s’assombrit peu à peu et le clavecin entame à partir de là un répertoire moins virevoltant et plus tonal que précédemment. 

Après un bain dans une grande bassine, le banc est démonté et démembré. Les 17 interprètes semblent eux-mêmes ne plus faire corps et s’éparpillent dans une scène finale quasi nocturne. Un projecteur vient balayer des corps qu’on devine à peine bouger, presque figés dans des postures inhabituelles comme dans un tableau flamand du 16ème siècle, un peu à la manière d’un Jérôme Bosch dans son Jugement dernier.

Qu’on ne s’y trompe pas, derrière cette création éblouissante de vitalité chorégraphique, Jan Martens nous alerte néanmoins : ce futur proche est-il vraiment enviable ?

Futur proche de Jan Martens vu le 28/04/2023, Grande Halle de La Villette.

Lire nos articles sur Rule of three et Sweat Baby Sweat de Jan Martens.

Le site de Jan Martens